"Le champ d’application de l’article L. 4624-7 du Code du travail : un périmètre de contestation illimité?" par Blandine Allix
Dans un arrêt rendu le 3 juillet dernier, publié au Bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur le périmètre de contestation de l’avis médical rendu par le médecin du travail, en traitant pour la première fois la question de la mention portant dispense de reclassement figurant sur l’avis.
Cass. soc., 3 juill. 2024, n° 23-14.227 F-B
Le champ d’application de l’article L. 4624-7 du Code du travail : un périmètre de contestation illimité?
La décision rendue le 3 juillet dernier par la chambre sociale de la Cour de cassation est une nouvelle illustration de la compréhension qu’il convient d’avoir du texte du Code du travail qui offre la possibilité de contester devant le conseil de prud’hommes, dans le cadre d’une procédure accélérée au fond, « les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4 » (cf. C. trav., art. L. 4624-7).
Avant d’aboutir à cette rédaction, le texte a été maintes fois remanié non seulement pour simplifier la procédure mais aussi pour apporter plus de clarté sur le périmètre de contestation.
L’histoire du périmètre de contestation
Si des précisions, plus que bienvenues, ont été apportées, l’objectif de clarté n’a pas toujours été atteint.
On se souvient qu’initialement, l’inspecteur du travail, compétent à l’époque, pouvait être saisi par l’employeur ou le salarié en cas de « difficulté ou de désaccord » sur les mesures proposées par le médecin du travail (cf. C. trav., art. L. 241-10-1, dernier al., ancien). Aucune limite au périmètre de contestation n’était donc fixée.
En 2006, la Cour de cassation a circonscrit le périmètre de contestation. Elle a en effet jugé que ce recours n’était ouvert « qu’en cas de difficulté ou désaccord sur l’avis du médecin du travail portant sur l’inaptitude physique du salarié à son poste de travail antérieur, son aptitude physique au poste de reclassement proposé, la nécessité d’une adaptation des conditions de travail ou d’une réadaptation du salarié » (Cass. soc., 28 juin 2006, n° 04- 45.600, Bull. civ. V, n° 234).
Souhaitant simplifier la procédure et confier dorénavant ce type de contestation au conseil de prud’hommes plutôt qu’à l’inspecteur du travail dont la décision pouvait ensuite être contestée devant le juge administratif, la loi Travail (L. n° 2016-1088, 8 août 2016) en a profité pour définir plus précisément le périmètre de contestation. C’est ainsi qu’a été créé l’article L. 4624-7 du Code du travail qui prévoit que « si le salarié ou l’employeur conteste les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émises par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4, il peut saisir le conseil de prud’hommes d’une demande de désignation d’un médecin-expert (...) ».
Le choix de faire porter la contestation sur « les éléments de nature médicale » a eu pour effet immédiat de réduire le périmètre du recours. Ainsi, le conseil de prud’hommes de Paris jugeait irrecevables, au motif que les difficultés invoquées ne constituaient pas des « éléments de nature médicale », les recours portant sur un refus d’avis du médecin du travail (Cons. prud’h. Paris, 20 févr. 2017, n° 17/00075), l’absence par le médecin du travail d’étude de poste préalable (Cons. prud’h. Paris, 22 juin 2017, n° 17/00475), un détournement de procédure consistant à qualifier d’inaptitude l’incompatibilité relationnelle entre un salarié et son manageur (Cons. prud’h. Paris, 8 mars 2017, n° 17/00187).
L’inversion de formulation par le législateur
[...]« éléments de nature médicale » vs « éléments de toute nature »
[...]La contestation de la mention portant dispense de reclassement
[...]Les conséquences pratiques de cet élargissement du périmètre de contestation
[...]
Dans tous les cas, l’employeur peut, avant de choisir son option, attendre de savoir s’il y a eu contestation par le salarié de l’avis d’inaptitude puisque le greffe la lui notifiera dans les jours qui suivent la saisine du salarié. Toutefois, il convient pour l’employeur de rester vigilant sur ce point, la Cour de cassation ayant jugé, sur le fondement des articles R. 4624-45 et R. 4624-55 du Code du travail, que lorsque l’avis du médecin du travail est remis en main propre, cette remise doit nécessairement être faite contre émargement ou récépissé ; à défaut, le délai de 15 jours pour contester l’avis ne court pas (Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-21.715 FS-B).
Il ne faut donc pas conclure hâtivement à l’absence de contestation de l’avis par le salarié…
La vérification du démarrage du délai de 15 jours est de rigueur.
Article publié dans Semaine sociale Lamy n°2110 le 21 octobre 2024 (réservé aux abonnés)