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Affaire du voile : que faut-il comprendre ? Par Joël Grangé, Avocat associé

Publié le : 07/04/2017 07 avril avr. 04 2017

La Cour de justice de l’Union européenne vient de donner son éclairage dans les affaires du voile et les restrictions possibles au port d’un signe religieux en entreprise.
 
A l’occasion de deux questions préjudicielles posées respectivement par la Cour suprême Belge et la Cour de cassation française lui demandant d’interpréter la directive européenne 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. 
Cette directive interdit en effet toute discrimination directe (le fait de traiter une personne moins bien qu’une autre)  et toute discrimination indirecte (le fait de mettre en place une pratique apparemment neutre, mais qui est susceptible d'entraîner un désavantage particulier) fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.
 
La directive prévoit cependant, en son article 4, qu’une différence de traitement ne constitue pas une discrimination (directe ou indirecte) lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la différence de traitement en cause « constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée. »
Dès lors, se posait la question de savoir s’il est possible d’interdire à des salariées en contact avec la clientèle de porter le voile, et ce qu’il convient d’entendre par une exigence professionnelle essentielle et déterminante, qui soit proportionnée et dont l’objectif est légitime.
Les deux affaires, bien que portant sur le voile, se présentaient de manière différente.
 
Le règlement intérieur peut mettre en œuvre un principe de neutralité
 
Dans l’affaire Belge, une réceptionniste avait fait savoir à son employeur qu’elle avait l’intention de porter le foulard islamique pendant les heures de travail. L’employeur lui répondit que le port du foulard ne serait pas toléré car le port visible de signes politiques, philosophiques ou religieux était contraire à la neutralité à laquelle s’astreignait l’entreprise dans ses contacts avec ses clients. L’entreprise avait d’ailleurs modifié son règlement intérieur en y stipulant qu’« il est interdit aux travailleurs de porter sur le lieu de travail des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses ou d’accomplir tout rite qui en découle ». En raison de sa volonté persistante de porter de voile, la salariée a été licenciée.
 
Saisie de la contestation du licenciement, la Cour suprême Belge a interrogé la Cour européenne sur la question de savoir si l’interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d’une règle interne générale d’une entreprise privée, constitue une discrimination directe.
 
La CJUE relève que la règle générale édictée au sein de l’entreprise se référait au port de signes visibles de convictions politiques, philosophiques ou religieuses et vise donc indifféremment toute manifestation de telles convictions. Cette règle traitant de manière identique tous les travailleurs de l’entreprise, en leur imposant notamment, de manière générale et indifférenciée, une neutralité vestimentaire, n’instaurait pas de différence de traitement directement fondée sur la religion ou sur les convictions, au sens de la directive.
La CJUE admet que le juge national pourrait cependant conclure à l’existence d’une discrimination indirecte. Toutefois, cette différence de traitement ne serait pas constitutive d’une discrimination indirecte si, en application de l’article 4 de la directive,  elle était justifiée par un objectif légitime et si les moyens de réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires.
Si la CJUE renvoie au juge interne le pouvoir de vérifier que la restriction est légitime, elle précise tout de même que  la volonté d’un employeur d’afficher une image de neutralité vis-à-vis de ses clients est légitime, notamment lorsque seuls sont impliqués les travailleurs qui entrent en contact avec les clients. Elle donne donc la marche à suivre pour le juge interne : si la restriction est limitée aux salariés en clientèle, la restriction pourrait être légitime.
 
En l’absence de règlement intérieur
 
Dans l’affaire française, il s’agissait d’une salariée ingénieur d’études, engagée par une société informatique. À la suite d’une plainte d’un client chez qui elle intervenait, l’employeur de l’intéressée a réaffirmé le principe de nécessaire neutralité à l’égard de sa clientèle et lui a demandé de ne plus porter le voile. La salariée s’y est opposée et a été licenciée par la suite. Elle a contesté son licenciement devant les juridictions françaises.
 
La Cour de cassation française a demandé à la CJUE de répondre à la question de savoir si la prise en compte des souhaits de la clientèle de ne plus voir de salariée voilée intervenir dans son entreprise peut constituer l’exigence professionnelle essentielle et déterminante, au sens de la directive précitée.
 
La CJUE n’a pas été en mesure de décider s’il y avait en l’espèce une discrimination directe ou indirecte.
Elle délivre donc la procédure à suivre pour la Cour de cassation : vérifier si le licenciement de la salariée qui a refusé de porter le voile est fondé sur une violation d’une disposition d’un règlement intérieur interdisant le port de tout signe visible de convictions religieuses, politiques ou philosophiques. Si tel est le cas, la Cour de cassation devra vérifier si la différence de traitement aboutit à une discrimination indirecte. Ensuite, elle devra déterminer si cette différence de traitement est justifiée par un objectif légitime tel que la mise en œuvre par la société d’un principe de neutralité à l’égard de ses clients.  Mais la Cour précise que s’il n’existe pas de règle interne dans l’entreprise, la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits du client de ne plus voir ses services assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de la directive. Un tel souhait constitue, selon la CJUE, une considération subjective.
 
En droit interne, depuis la loi Travail du 8 août 2016, le Code du travail permet aux entreprises d’inscrire dans leur règlement intérieur un principe  de « neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». Ce principe de neutralité est validé par la CJUE. Il appartient désormais aux entreprises qui veulent mettre en œuvre un tel principe, d’instaurer un règlement intérieur prévoyant des dispositions générales.
Pour les entreprises ayant déjà appliqué le principe de neutralité édicté par la loi travail, il convient de vérifier la rédaction de la clause concernée : elle ne doit pas viser qu’une religion mais toutes les religions,  et elle doit s’appliquer à la manifestation de toutes les convictions quelles qu’elles soient. 

CJUE 14 mars 2017, C-157/15  Achbita c/ G4S Secure Solutions NV
CJUE 14 mars 2017, C-188/15 Bougnaoui c/ Micropole SA

 

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