"UES : l’arrêt excluant la qualification d’accord interentreprises" par Jeannie Crédoz-Rosier
L’accord collectif reconnaissant une unité économique et sociale (UES) ou modifiant son périmètre n’est pas un accord interentreprises. C’est ce que retient la Cour de cassation, pour la première fois, dans un arrêt du 6 mars (v. l’article précédent). Jeannie Crédoz-Rosier, avocat associé au sein du cabinet Flichy Grangé Avocats, revient sur les conséquences concrètes de cette décision.
Quelles problématiques cet arrêt permet-il de résoudre ?
Cet arrêt participe à la construction du régime de l’accord portant reconnaissance d’une UES. La Cour de cassation s’était surtout attachée, en dernier lieu, à définir la nature de cet accord pour déterminer la majorité requise pour sa conclusion : après avoir retenu l’unanimité qui était par le passé attachée au protocole d’accord préélectoral, la Cour de cassation s’était ensuite référée à "l’accord collectif" (Cass.soc., 14 nov. 2013, no 13-12.712), référence que le législateur consacra dans les textes sur le CSE. Elle en déduisait que la conclusion de cet accord était soumise à sa signature "aux conditions de droit commun, par les syndicats représentatifs au sein des entités faisant partie de cette UES". Était donc requise une signature "majoritaire", représentant alors 30 % puis, à compter de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, 50 % des suffrages exprimés lors des dernières élections.
Demeurait toutefois la question de savoir comment apprécier cette majorité, à laquelle était étroitement liée celle de savoir avec qui mener la négociation. Deux approches étaient envisageables : rechercher cette majorité au sein de chaque société partie à l’accord ou la caractériser au périmètre "consolidé" de celui pressenti pour l’UES. Cette dernière voie s’inspirait des règles de conclusion des accords de groupe, qui pouvaient se trouver applicables alors que la plupart des UES s’inscrivent dans un même groupe. Elle prenait une acuité supplémentaire avec la consécration, par la loi du 8 août 2016, de l’accord interentreprises conclu au niveau de plusieurs entreprises.
Quels sont les enseignements à tirer de cet arrêt ?
Aux termes d’une motivation qui peut surprendre à plusieurs égards, la Cour de cassation semble dire que l’accord interentreprises ne pourrait avoir d’autre objet que d’organiser un CSE interentreprises ou de définir les garanties sociales des salariés de ces entreprises, pour en déduire que l’accord de révision d’un accord portant reconnaissance d’une UES ne constitue pas un accord interentreprises.
Il en résulte, estime la Cour, que les articles L. 2232-36 à L. 2232-38 du Code du travail ne sont pas applicables à cet accord. En d’autres termes, il n’y a pas lieu de négocier et conclure cet accord avec les organisations syndicales représentatives à l’échelle de l’ensemble des entreprises concernées, par addition de l’ensemble des suffrages obtenus dans les entreprises ou établissements concernés lors des dernières élections, mais au contraire, juge la Cour, d’inviter à sa négociation l’ensemble des syndicats représentatifs présents dans chacune des entités de l’UES.
Cette solution est formellement retenue pour l’accord de révision, mais trouve naturellement à s’appliquer à l’accord qui reconnaît pour la première fois une UES.
Elle devrait par ailleurs impliquer, en toute logique, que la validité de cet accord soit subordonnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli, dans chaque société du périmètre considéré, plus de 50 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires.
Des zones d’ombre persistent-elles ?
Indéniablement. La solution d’un accord interentreprises qui avait été retenue par les juges du fond aurait clairement
eu l’avantage de pouvoir inclure dans une UES une société n’ayant pas ou peu de personnel, comme la Cour de cassation l’avait précédemment admis. À l’inverse, on peut désormais se demander si et comment une société
disposant d’un effectif limité et/ou ne disposant pas de délégués syndicaux peut relever d’une UES. Pourra-t-il être recouru à un mode dérogatoire de conclusion de l’accord dans ces entités, via un élu ou un salarié le cas échéant mandatés ? L’objet premier de l’UES est, comme le rappelle ici la Cour, de mettre en place un CSE ; un tel consensus trouve donc notamment son intérêt dans la possibilité de couvrir une ou plusieurs sociétés qui seraient, sinon, privées de CSE ou dotées d’une instance avec des attributions limitées.
Reste en outre totalement ouverte la question du régime de vie de l’accord de reconnaissance d’UES. Le renvoi fait à "l’accord collectif" pour sa conclusion ne permet pas nécessairement de préjuger du sort de cet accord selon, en particulier, que celui-ci est conclu pour une durée déterminée ou indéterminée. En effet et au regard de sa nature particulière liée à la représentation du personnel, l’application pure et simple du régime de droit commun des accords collectifs n’est probablement pas si évidente, s’agissant en particulier de la possibilité, ou non, de dénoncer l’accord.
Textes et Jurisprudences :
Cass.soc., 14 nov. 2013, no 13-12.712
Loi nº 2016-1088 du 8 août 2016
Loi du 8 août 2016
Articles L. 2232-36 à L. 2232-38 du Code du travail
Article publié dans Liaisons sociales Quotidien - L'actualité, nº 8999 le 12 mars 2024
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